Journée dédiée à la célébration des métiers, le 1er mai 2025 met en lumière une réalité troublante en République Démocratique du Congo : riche en potentiel halieutique et en opportunités offertes par l’économie bleue, la pêche demeure ignorée comme métier à part entière.
À l’ère du vingt et unième siècle, cette absence de reconnaissance soulève des questions profondes sur la valorisation des secteurs clés pour le développement durable du pays.
Mieux placé pour aborder cette question, Agriboost.info est allé à la rencontre de Patricia Maïsha. Figure emblématique, elle milite depuis près de 12 ans pour la promotion de la pêche artisanale et de l’aquaculture. Elle est coordinatrice du Réseau pour le développement intégral du Congo (REDIC-AWFISHNET). Elle a répondu aux questions de votre média.
Agriboost : Quelle est votre perception de la reconnaissance actuelle de la pêche comme métier en RDC ?
Patricia Maïsha : Nous n’avons pas encore atteint le seuil de reconnaissance de la pêche en RDC. Ce métier dans notre pays se pratique encore de manière artisanale, tous les intervenants dans la chaîne ne sont pas encore reconnus comme travailleurs.
Agriboost : Existe-t-il des réglementations autour de ce secteur?
Patricia Maïsha : Jusque-là non, aucune réglementation nationale, si ce n’est le décret du mois d’avril 1937 qui régit ce secteur dans notre pays et certaines mesures réglementaires prises par les autorités de tutelle qui ne sont malheureusement pas respectées par les pêcheurs et autres acteurs du secteur. Pour cette question, on a l’impression qu’il manque de volonté politique, car depuis 2016, il y a un projet de loi qui est en souffrance, entre le parlement et le secrétariat général du gouvernement.
En 2024, le député national Sosthène Mahombi a lui aussi soumis une autre proposition de loi qui jusqu’ici continue de souffrir dans le tiroir de nos gouvernants. C’est comme si le gouvernement voulait quelque chose et son contraire au même moment.
Agriboost : Comment vous, acteur du secteur, organisez-vous vos activités malgré l’absence de structuration officielle du métier ?
Patricia Maïsha : En tant qu’acteur non-étatique oeuvrant dans la pêche et l’aquaculture en RDC, et partenaire du ministère de pêche et élevage, nous travaillons avec des documents qui régissent les ONG, les Asbl et les entreprises membres de notre plateforme nationale. Nous avons là, des certificats d’enregistrement reconnus par le ministère de tutelle, et les arrêtés ministériels reconnaissant notre apport dans le secteur.
Agriboost : Quelles mesures ou actions seraient nécessaires pour améliorer les conditions des pêcheurs en RDC ?
Patricia Maïsha : La pêche étant une culture pour les uns et un mode de vie pour les autres, il est souvent transmis du père au fils auprès de plusieurs populations riveraines. Ces dernières n’ont rien d’autre à part leur expérience et les ressources en eau pour leur survie et celle de leurs familles. Mais il faut aussi des centres de formation pour permettre à ces derniers de renforcer leurs capacités et emmener la jeunesse à s’y intéresser et d’avoir un regard plus positif sur ce métier.
Agriboost : Que fait le REDIC en termes de formation ?
Patricia Maïsha : Notre plateforme contribue sensiblement au développement du secteur, à travers la formation, la sensibilisation sur le respect de la réglementation sur la conservation de la biodiversité, la vulgarisation des différentes mesures prises par les autorités.
Mais en tant qu’Ong, nous sommes limités. Il doit y avoir des centres de formation professionnelle pour la promotion du secteur de la pêche, car tant que les gens ne comprennent pas le secteur, c’est assez difficile qu’ils puissent s’y investir. Ce n’est pas normal dans un pays avec un tel potentiel halieutique, que la consommation du poisson soit un luxe.
Agriboost : Dans ce cas, quelles initiatives locales ou internationales pourraient contribuer à la professionnalisation de ce secteur?
Patricia Maïsha: La construction des centres de formation répondant aux normes et standards internationaux dans chaque province. Je crois qu’à ce niveau, la RDC est bien placée pour encadrer les acteurs de toutes les régions africaines, car nous avons une immense potentialité halieutique. Il suffit simplement qu’il y ait une volonté politique et une bonne politique pour le développement du secteur.
Agriboost : Quelles retombées positives pourraient découler d’une reconnaissance officielle du métier de pêcheur ?
Patricia Maïsha : Une fois la pêche formalisée en RDC, plusieurs retombées en découleront. Je cite par exemple la création de l’emploi et la sécurité alimentaire. La réglementation autour du secteur de la pêche attirera plusieurs investisseurs et ceci signifie qu’il y aura des taxes et des impôts qui seront payés, et on aura protéger notre ressource halieutique, en particulier les espèces en voie de disparition qu’on ne retrouve qu’en RDC.
Agriboost : Avez-vous un dernier mot à ajouter en conclusion ?
Patricia Maïsha : Vu le nombre de personnes qu’emploie la pêche et le nombre de ménages dont elle assure la survie, sa contribution à la sécurité alimentaire n’est pas à démontrer. Aujourd’hui, nous n’avons pas seulement la pêche, il y aussi l’économie bleue qui intervient, un contexte auquel la RDC ne s’est pas encore appropriée, qui propose elle aussi plusieurs opportunités d’affaires.
Interview réalisée par Linda Imbanda